Cinesthésie - Courtes histoires cinématographiques

Cinésthésie

Il y a des photos dont on ne sait pas quoi faire, qui ne rentrent dans aucune série particulière. Des photos qui esquissent des histoires que j’ai envie de raconter (sans avoir le courage d’en écrire un bouquin pour autant).

C’est une série un peu fourre-tout qui a comme dénominateur commun l’envie de mixer histoires écrites, codes graphiques du cinéma et photographie. Une pause dans un film, un instant capturé et raconté.

Cinesthésie : Le chemin de souvenirs

C’est un chemin qu’elle parcourait tous les jours, entre la maison familiale et l’arrêt de bus qui l’emmène à l’école. Un chemin de coucher de soleil sur le lac, de rires entres amies, de chuchotements amoureux, de bruits angoissants les soirs d’hiver, de souvenirs qu’elle a marqué dans son carnet, précieusement.

Cinesthésie : Un boulot de trop

Elle s’effondra sur le lit, le regard au plafond, comptant les tâches qu’avaient laissés les multiples dégâts des eaux. Elle ne pouvait plus continuer. Ce boulot, c’était pas elle. Elle se sentait sale et surtout en danger. Elle tourna la tête vers le buffet, tendit la main pour attraper ses pilules. Son regard se posa sur le revolver de son père…

Cinesthésie : Les derniers kilomètres

J’ai roulé sur des kilomètres, sur des chemins qui n’en étaient pas, à travers des lieux que l’on n’a jamais nommé. J’ai roulé jusqu’à ce qu’elle ne veuille plus rouler. Alors j’ai continué à pied. Je l’ai laissé en arrière comme j’ai laissé le reste. Je ne fuis pas, j’avance. Je crois…

Cinesthésie : L'appartement d'en face

Voilà des jours que personne n’était rentré dans l’appartement en face. Elle écarta un peu plus les rideaux, tentant d’apercevoir ce voisin quasi absent. Une silhouette passa devant la fenêtre. Une autre derrière elle, un revolver à la main… Alors que le bruit de la détonation retentissait, elle s’accroupit en vitesse derrière son fauteuil, le coeur manquant d’exploser…

Cinesthésie : Le non dit

Ah ! Je sentais l’odeur du non-dit. Le genre de mystère qui me donne envie d’y foutre le nez et de remuer la crasse qui le recouvre. Ça puait l’histoire d’une vengeance, un truc sale comme on en rencontre que dans les ruelles sombres. J’allais cuisiner le type comme jamais et je m’en léchais déjà les babines.

Cinesthésie : Poursuite nocturne

Il sentit qu’on l’épiait. Il glissa sa main dans la poche intérieure de sa parka, prêt à courir si le besoin s’en faisait sentir. Il s’arrêta près de la porte fermée du parking, aux aguets. Un frisson lui parcourut l’échine lorsque des bruits de pas retentirent derrière lui…

Cinesthésie : Les chiffres

Le vent faisait claquer les volets de la ruine dans laquelle je me trouvais. Il hurlait à la nuit comme une âme en peine. A chaque bourrasque, la flamme de ma lampe se mettait à danser la gigue et des frissons me remontaient l’échine. Je ne devais pas traîner là. J’ai approché mes doigts de la flamme, quitte à les faire cramer pour me réchauffer, et j’ai continué de fouiller parmi les décombres. Je finirai bien par tomber dessus, si possible avant qu’ils n’arrivent.

Cinesthésie : La chambre du manoir

Ils connaissaient bien le manoir du village. Il y venaient tous les weekends pour courir dans les couloirs et se créer des histoires ; inconscients des dangers d’une bâtisse abandonnée à la nature depuis des années. Inconscients de ce qui rôdait entres ces murs. Ils n’ont pas été alertés par un bruit, il n’y a pas eu de cris. Un instant ils riaient, la seconde d’après ils avaient disparu ; seuls les rideaux continuaient de bouger dans la légère brise provenant d’un carreau brisé. Une brise ressemblant a des rires d’enfants.

Cinesthésie : Le fusain

Elle sentait la grenadine. Elle s’est allongée négligemment sur mon matelas taché. Ça ne semblait pas la déranger. Elle n’était pas encore nue, pour moi c’était tout comme. Ça faisait 5 minutes que j’avais pas tiré sur la clope qui pendouillait a mes lèvres et qui se consumait sans moi. J’étais ailleurs. J’étais sur mon fusain, fébrile, à noircir le papier 250gr écru. À faire apparaître les courbes hypnotisantes que j’avais devant moi.

Cinesthésie : L'odeur des sous-bois

Je ne me souviens plus du nom de ces collines. A vrai dire, je ne me souviens plus de grand chose. Éventuellement l’odeur forte des sous-bois, après une chaude pluie d’été. Le reste de mes souvenirs s’évanouissent, lentement, comme un dessin dans le sable emporté par les vagues alors que la mer monte, ou comme les couleurs rougeoyantes d’un coucher de soleil, qui laissent place au bleu de l’oubli.

Je regardais le bateau créer des remous dans la vase alors qu’il ralentissait à l’approche du ponton. Ces dernières heures, j’ai autant déversé les douloureux souvenirs qui m’ont pourris l’âme ces 10 dernières années, que le contenu de mon estomac dans l’eau du lac. Peut être que je devrais y voir un signe.